L'alimentation du diabétique : l'index glycémique
Quels que soient le type de diabète et le type de médicaments utilisés,
une alimentation équilibrée est une nécessité sans laquelle il
est illusoire d'espérer prendre en charge correctement son diabète.
Mais, alimentation équilibrée ne signifie pas régime au sens où
on le pense habituellement... et les mots nutrition et diététique souvent
utilisés à ce propos correspondent en fait à des principes fort simples
à mettre en oeuvre et qui ne correspondent pas du tout à une liste d'aliments
interdits et une liste d'aliments autorisés, ni à des recettes de cuisine
compliquées !
L'alimentation du diabétique n'est pas une liste d'aliments interdits et une liste d'aliments autorisés |
Un peu d'histoire
Les idées ont évolué entre :
• il y a une centaine d'années, où un régime alimentaire pratiquement
exclusivement composé de graisses était conseillé aux diabétiques,
car on ne disposait pas de médicaments pour abaisser la glycémie,
• il y a une quarantaine d'années, où les féculents étaient
encore formellement interdits,
• il y a une vingtaine d'années, où les féculents ont commencé
à être été réhabilités,
• et actuellement où les effets nocifs des graisses sur les artères
sont mieux connus, les légumes secs sont recommandés, et où on tolère
un apport sucré occasionnel, notamment en fin de repas sous forme de dessert.
Les règles classiques du régime alimentaire étaient
résumées à trois principes :
• d'une part :
- suppression des sucres de structure simple, comme le saccharose (c'est à dire
le sucre de cuisine, qu'il en soit en morceaux ou en poudre),
- utilisation occasionnelle des autres sucres simples comme le fructose ou le sorbitol,
- en ne tolérant qu'un apport glucidique très limité sous forme de
fruits ou de lait,
- et en réservant l'usage du sucre aux situations d'hypoglycémie ;
• d'autre part : limitation des sucres de structure complexe (les féculents)
à 40 à 50 % de la ration calorique quotidienne ;
• enfin : troisième principe, répartition de ces apports de sucres
tout au long de la journée.
La distinction pratique entre sucres simples et sucres complexes était essentiellement
basée sur le goût sucré ou non de ces aliments :
• les aliments ayant un goût sucré étaient considérés
comme des sucres rapides, c'est-à-dire donnant des élévations glycémiques
rapides et importantes ;
• les aliments contenant du sucre, mais n'ayant pas un goût sucré,
étaient considérés comme des sucres lents, c'est-à-dire donnant
des élévations glycémiques moins rapides et moins importantes (féculents
par exemple).
Que penser aujourd'hui de ces règles
classiques ?
Le premier reproche que l'on peut faire à ce type de régime est qu'en supprimant
les sucres simples et en limitant trop les sucres complexes, cela conduit le diabétique
à manger plus de lipides et de protéines (graisses, fromages, charcuterie,
viandes...) avec pour conséquence une augmentation du risque d'altération
des artères.
Or le diabète entraîne déjà par lui-même un risque d'altération
des vaisseaux sanguins.
Il faut donc :
• ne pas augmenter la part des graisses au-delà de la normale, et il faut
souligner qu'en France la ration spontanée en graisses est déjà trop
importante par rapport à ce qu'elle devrait être (elle a augmenté
de près de 50 % depuis le début du siècle !),
• et utiliser les graisses les moins nocives pour les artères, c'est-à-dire
des graisses insaturées plutôt que des graisses saturées, par exemple :
- privilégier les graisses d'origine végétale plutôt que les
graisses d'origine animale,
- privilégier le poisson et les viandes blanches, plutôt que les viandes
rouges,
- remplacer le beurre par de la margarine de tournesol,
- et utiliser de l'huile d'olive.
Les produits allégés en graisses fournissent également une possibilité
de réduire sa ration de graisses, mais attention, ces produits ne sont allégés
que de guère plus de 25 %, ce qui fait que leur utilisation sans modération
peut conduire à une ration plus importante de graisses, que l'utilisation limitée
de produits normaux.
Il ne faut pas augmenter l'apport
en lipides en réaction à la limitation des apports en glucides |
Le second reproche est que la classification entre sucres simples et sucres complexes
était basée sur la composition chimique des aliments, et non sur les effets
que ces aliments produisent sur la glycémie.
Pendant longtemps on a pensé :
• que plus les sucres étaient de structures simples, plus ils étaient
absorbés rapidement, et plus ils étaient hyperglycémiants,
• et que par contre, plus leur structure était complexe, plus ils étaient
absorbés lentement, et moins ils étaient hyperglycémiants.
D'où l'idée d'un régime séparant les sucres en deux catégories :
• sucres rapides = aliments ayant un goût sucré, passant rapidement
dans le sang du fait de leur structure simple,
• sucres lents = aliments contenant du sucre, mais n'ayant pas un goût
sucré, passant lentement dans le sang du fait de leur structure complexe.
En fait, ceci n'est que partiellement exact car l'organisme dispose de différents
moyens pour digérer les différents types de sucres complexes, et on s'est
aperçu que la digestion de certains sucres complexes est très rapide, avec
pour conséquence une montée de la glycémie beaucoup plus rapide qu'on
pouvait le penser.
La digestion de certains aliments n'ayant pas un goût sucré est très rapide, avec augmentation importante de la glycémie |
La démonstration de ceci a été faite de la façon suivante :
En se basant sur la proportion en sucre des aliments, on peut calculer des portions
de pain, de purée de pommes de terre, de riz, de pâtes, de lentilles...
qui contiennent la même quantité de sucre.
Par exemple, pour obtenir une quantité en sucre équivalente à 20 grammes
de glucose, il faut prendre 40 g de pain complet contenant 50 % de glucides, ou 100
g de pommes de terre contenant 20 % de glucides :
Aliments : Quantité équivalente |
Proportion |
20 g de glucose |
100 % |
40 g de pain blanc |
55 % |
40 g de pain complet (grains complets) |
50 % |
100 g de purée pommes de terre (flocons) |
20 % |
100 g de riz |
20 % |
100 g de pâtes |
20 % |
100 g de lentilles |
20 % |
200 g de carottes crues |
10 % |
200 g de carottes cuites à la vapeur |
10 % |
400 g de lait |
5 % |
Après avoir mangé ces différentes portions contenant une quantité
équivalente de sucre, on peut étudier quelles sont l'importance et la durée
de l'élévation de la glycémie, en mesurant par exemple la glycémie
toutes les dix minutes pendant les heures qui suivent l'ingestion de l'aliment.
Et en comparant l'élévation de la glycémie qui se produit après
chacun de ces aliments, à l'élévation qui se produit après avoir
avalé une quantité équivalente de glucose, ou plus exactement en comparant
les surfaces comprises entre la courbe de la glycémie et le niveau de la glycémie
de départ, on peut déterminer un pourcentage qui est d'autant plus grand
que l'aliment est hyperglycémiant :
• un aliment qui élève deux fois moins la glycémie que le glucose
a un pouvoir hyperglycémiant de 50 % de celui du glucose,
• un aliment qui élève quatre fois moins la glycémie que le glucose
a un pouvoir hyperglycémiant de 25 %...
On parle de pouvoir hyperglycémiant, d'indice glycémique ou d'Index glycémique.
Les constatations ont été assez surprenantes :
Aliments : Quantité équivalente |
Proportion |
Index |
20 g de glucose |
100 % |
100 % |
40 g de pain blanc |
55 % |
65 % |
40 g de pain complet (grains complets) |
50 % |
50 % |
100 g de purée pommes de terre (flocons) |
20 % |
80 % |
100 g de riz |
20 % |
60 % |
100 g de pâtes |
20 % |
50 % |
100 g de lentilles |
20 % |
25 % |
200 g de carottes crues |
10 % |
25 % |
200 g de carottes cuites à la vapeur |
10 % |
90 % |
400 g de lait |
5 % |
30 % |
Ainsi, la proportion en sucre et le pouvoir hyperglycémiant du pain sont
similaires (50 %), mais il n'en est pas de même pour tous les aliments. Par
exemple :
• les lentilles sont nettement moins hyperglycémiantes (25 %) que la purée
de pommes de terre (80 %), le riz (60 %) ou les pâtes (50 %), et ceci, bien
que la proportion en sucre soit identique (20 %) pour tous ces aliments,
• les carottes sont très nettement plus hyperglycémiantes lorsqu'elles
sont cuites à la vapeur (90 %) que lorsqu'elles sont mangées crues (25
%).
Ces constatations ont été faites à la fois chez les personnes non
diabétiques et chez les diabétiques.
Chez les personnes non diabétiques, on peut mesurer la quantité d'insuline
qui est sécrétée pour chaque part d'aliment, et on aboutit aux mêmes
conclusions. Par exemple, la quantité d'insuline sécrétée pour
100 grammes de purée de pommes de terre est beaucoup plus importante que celle
sécrétée pour 100 grammes de lentilles.
Le pouvoir hyperglycémiant des aliments ne dépend pas uniquement de leur contenu en glucides |
Comment expliquer ces différences, par exemple :
• que le pouvoir hyperglycémiant de la purée de pommes de terre est
de 80 % (c'est-à-dire proche de celui du glucose) et que celui des lentilles
ne soit que de 25 %, alors que les teneurs en sucre des pommes de terre et des lentilles
sont toutes les deux voisines de 20 %,
• ou encore que le pouvoir hyperglycémiant des carottes augmente lorsqu'elles
sont cuites.
Les explications sont les suivantes :
• tout d'abord, les aliments ne sont pas constitués des mêmes sucres
complexes (amylose, amylopectines...) et la rapidité avec laquelle l'organisme
est capable de digérer chaque sucre complexe n'est pas la même,
• ensuite, ces sucres complexes ne sont pas constitués des mêmes sucres
simples, et ces sucres simples n'ont pas le même pouvoir hyperglycémiant
; par exemple, le glucose est plus hyperglycémiant que le saccharose (sucre
du commerce), qui est plus hyperglycémiant que le fructose, qui est plus hyperglycémiant
que le xylitol, qui est plus hyperglycémiant que le sorbitol,
• d'autre part, les sucres de ces aliments sont liés à une plus ou
moins grande quantité d'autres substances qui peuvent ralentir la digestion
de ces aliments, notamment ce que l'on appelle les fibres alimentaires (plus l'aliment
est riche en fibres, plus la digestion de cet aliment est lente),
• enfin, l'emballage dans lequel se trouvent ces sucres complexes intervient
également, de même que la cuisson, le broyage, la réduction en purée... :
- dans le pain complet, le grain de blé complet doit d'abord être digéré
pour que l'amidon puisse être digéré, alors que dans le pain blanc
l'amidon peut être immédiatement digéré puisqu'il n'est pas protégé
par une enveloppe,
- la cuisson des carottes entraîne une fragilisation de leur structure, qui
facilite leur digestion, avec pour conséquence un pouvoir hyperglycémiant
plus important (les carottes crues sont «dures» tandis que les carottes
crues sont «toutes molles»),
- le riz brun a un index glycémique un peu plus faible que le riz blanc, mais
le riz brun broyé et le riz blanc broyé ont un index glycémique identique,
qui est plus important que lorsque ces riz sont en grains entiers,
- les lentilles mangées en graines ont un index glycémique nettement plus
faible que lorsqu'elles sont passées au mixer puis au tamis pour enlever les
peaux et obtenir un velouté de lentilles.
La nature des aliments et leur emballage naturel interviennent dans leur pouvoir hyperglycémiant |
En effet, jusqu'ici nous avons envisagé le pouvoir hyperglycémiant des
aliments en supposant qu'ils étaient mangés seuls, mais ce n'est pas ce
qui se passe au cours d'un repas.
On a donc fait d'autres expériences, avec des repas complets, de manière
à voir ce qui se passait si on échangeait un aliment par un autre.
Par exemple, on a donné à des diabétiques un repas complet apportant
de la viande, des haricots verts, du fromage et 75 grammes de gâteau de riz
avec de la saccharine, et on a mesuré l'élévation de la glycémie
de 10 mn en 10 mn après le repas.
On a ensuite refait la même expérience en remplaçant les 75 grammes
de gâteau de riz par une quantité équivalente de sucre, c'est-à-dire
15 grammes de sucre (3 morceaux de sucre)... et oh ! surprise,
l'élévation glycémique a été presque identique avec ce deuxième
repas, qu'avec le premier.
On a refait d'autres expériences :
• en remplaçant certains sucres complexes par leur équivalent en sucre
simple,
• en ajoutant ou en enlevant d'autres aliments comme des lipides ou des protides,
ou en ajoutant des fibres alimentaires,
• ou en modifiant la façon de préparer certains aliments (par exemple,
la purée de pommes de terre en flocons est plus hyperglycémiante que les
pommes de terre à l'eau, qui sont elles-mêmes plus hyperglycémiantes
que les pommes frites).
Ces expériences, qui ont suivi celles permettant d'élaborer les tables
d'index glycémiques, ont toutes abouti aux mêmes conclusions :
La préparation des aliments et leur association au cours d'un repas modifient leur pouvoir hyperglycémiant |
Un repas est d'autant moins hyperglycémiant qu'il est mixte et équilibré en glucides, lipides et protéines |
Ces expériences ont toutes montré que l'association à des protéines,
des lipides ou des fibres, entraîne une digestion plus lente des sucres.
Vous l'avez sans doute vous même peut-être déjà constaté
lors d'hypoglycémies : l'utilisation de chocolat
pour combattre une hypoglycémie est moins efficace que le sucre en morceau,
parce que le chocolat contient au moins 50 % de corps gras.
Pour être tout à fait complet, il faut signaler qu'il existe également
d'autres facteurs, qui interviennent dans le pouvoir hyperglycémiant des aliments :
• la rapidité avec laquelle se vide l'estomac, qui peut être plus
ou moins grande,
• certains aliments contiennent des anti-enzymes ou des anti-nutriments (s'ils
n'étaient pas présents, le pouvoir hyperglycémiant de ces aliments
serait plus important),
• et différents facteurs neurologiques, psychiques et hormonaux qui peuvent
modifier la digestion et l'absorption des aliments (un même aliment peut avoir
un pouvoir hyperglycémiant un peu différent d'un jour à l'autre).
On peut retenir
Il ne faut pas augmenter l'apport
en lipides en réaction à la limitation des apport en glucides |
Certains aliments sont plus hyperglycémiants
qu'on ne le pensait |
Il faut tenir compte de l'index glycémique |
Les aliments sucrés ont moins
d'effet hyperglycémiant en fin de repas que lorsqu'ils sont consommés de
façon isolée |